Père Guy Gilbert : Je peux toucher Dieu à travers ceux que je rencontre

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C’est dans son petit chalet de montagne, perché sur les hauteurs de sa bergerie de Faucon au cœur des gorges du Verdon, que le père Guy Gilbert nous reçoit.
Depuis près de 50 ans, il redonne vie à ces jeunes cabossés qui lui sont confiés par l’Aide sociale à l’Enfance. Il peut s’appuyer sur son équipe pour relever une jeunesse de plus en plus violente.
Reportage sur cet homme de Dieu au destin improbable !

Depuis près de 50 ans, Guy Gilbert redonne vie à des jeunes qui lui sont confiés par l’Aide sociale à l’Enfance.
Depuis près de 50 ans, Guy Gilbert redonne vie à des jeunes qui lui sont confiés par l’Aide sociale à l’Enfance.

Comment est née votre vocation au sein d’une famille ouvrière et au milieu de 14 frères et sœurs ?

Père Guy Gilbert : Ma mère qui était croyante incarnait la miséricorde et l’amour ; elle nous a tous aimés « l’un après l’autre » comme elle disait ! Lorsque je suis entré au séminaire à treize ans en novembre 1948, mon père m’a dit : « Ça te prend comme une envie de pisser, ça ne va pas durer très longtemps. » Lui voulait que je fasse des études mais pas moi. Connaissant mon tempérament difficile, il a dit au Supérieur : « S’il reste quinze jours, ce sera bien » et j’y suis resté treize ans !
Pourtant je n’acceptais pas qu’on me dise ce qu’il fallait faire, c’était chiant ! Obligé de me « farcir » deux curés par jour pour m’expliquer la messe : ils marmonnaient dans une langue inconnue… Les surveillants me cherchaient aussi parce que je faisais des « conneries » : la punition c’était de réciter le chapelet en silence dans la cour…
Un beau jour en disant la messe, Henri Masset, Supérieur du Séminaire de Saintes m’a donné la conviction que le Christ était au bout de ses doigts, pas comme une apparition mais comme une présence et c’est à partir de ce moment-là que j’ai « bûché » l’eucharistie ! Ensuite j’ai compris que Dieu était amour…

Racontez-nous quelques souvenirs de votre période en Algérie

Père Guy Gilbert : Je devais effectuer mon service militaire dans un régiment de chasseurs alpins où il y avait beaucoup de délinquants. C’était très dur physiquement. Comme j’ai contracté un rhumatisme articulaire aigu, j’ai été reformé. A côté de moi, un père de famille était pris et moi j’ai dit : « Je prends sa place pour partir en Algérie ». Là j’apprends l’horreur et je la découvre jour après jour : l’homme était devenu fauve dans une guerre devenue sale ! Là-bas j’étais infirmier et, un soir, j’entends les cris d’un jeune sous la torture : je fonce et
j’interpelle le sergent-chef pour lui dire que c’est un secteur de pacification, qu’il n’a pas le droit de faire ça. On me met en prison une nuit, et je passe devant le commandant le lendemain qui s’en fout et me met dans une compagnie très dure… Là, j’en ai chié ! Dans cette horreur, j’ai compris que seul l’amour vainc la haine. Le
cardinal Duval, qui était à Alger, m’a dit : « Soyez un homme d’amour ! »
Lorsque je suis revenu à Saintes après la guerre d’Algérie, les enseignants du Séminaire étaient totalement déconnectés de tout : j’ai préféré alors retourner finir mon séminaire en Algérie, et c’est là que j’ai découvert comment vivre l’Évangile ! Ma vocation avait enfin un sens…
J’ai été nommé vicaire à Blida ! Je ne connaissais ni l’arabe ni l’islam. D’un seul coup, projeté dans un monde inconnu, je dirai que c’était mes cinq années de sacerdoce les plus belles. Les musulmans avaient un profond respect pour le célibat des prêtres, ils disaient : « Il est à nous ! » Quelle définition extraordinaire ! C’est dans ce contexte que j’ai découvert que j’avais un certain charisme pour les jeunes ; je me suis adapté et j’ai appris l’arabe, …
Aujourd’hui encore, je reçois des coups de téléphone de ceux que j’ai aidés là-bas ! L’Algérie m’a formé à la haine du racisme et m’a donné le punch pour dire non !

Vous avez connu les moines de Tibhirine ?

Père Guy Gilbert : Oui, j’étais ami avec eux en Algérie, et je les ai suivis avec une joie immense. Je déjeunais avec eux et j’avais fait une conférence avec le père abbé Christian. C’était un témoignage extraordinaire. Quand tu arrivais au couvent, tu entendais « Bismillah ar-rahman arrahim» c’est à dire au nom de Dieu clément et miséricordieux ! Les musulmans voulaient faire une mosquée en face, mais ça s’est effondré parce que le terrain était instable : les moines ont alors passé aux musulmans une grange, qui était collée au monastère. Ils travaillaient avec eux en silence. Ça a été une grande chance dans ma vie de les avoir rencontrés.

Comment en êtes-vous arrivés aux gosses de la rue, aux taulards et aux délinquants ?

Père Guy Gilbert : Un jour, Jean Claude Barrault – prêtre de Paris qui, avec d’autres prêtres, allait voir les prisonniers à Fleury-Mérogis – était de passage en Algérie. Il me dit : « Toi, tu es fait pour la rue ! » et il me propose de rentrer avec lui à Paris. Là, changement de décor total : je me retrouve au milieu du béton après avoir été au cœur de la nature !
J’arrive en France à une période où des prêtres basculaient du sacerdoce au mariage et je me suis retrouvé éducateur de rue. Je me souviens d’un type qui me provoquait en m’insultant et me disait : « Viens, bats-toi ». Il me martèle de coups, m’arrache les cheveux, me mord… ; j’étais dans un sale état. Le lendemain, alors que j’essaie de savoir pourquoi il m’avait frappé, il me répond : « Tu t’es mal battu, curé, mais t’es l’un de nous
maintenant ». C’est à partir de ce moment-là, à 35 ans, que j’ai appris à manier la « droite évangélique » !

Parlez-nous de votre lien à Notre-Dame de Paris ?

Père Guy Gilbert : Pendant 46 ans j’ai assisté à la messe du jeudi saint et aux ordinations sacerdotales. Je laissais tout pour être en lien avec l’Église rassemblée.

Guy Gilbert seul à la cathédrale notre dame de paris

Quel lien avez-vous avec les séminaristes ?

Père Guy Gilbert : J’allais toujours parler aux séminaristes une fois par an et je leur disais que le huitième sacrement, c’est l’amitié sacerdotale et j’ai gardé ça dans mon cœur. Il faut arrêter de dire : « c’est un saint prêtre » et ensuite lui casser du sucre sur le dos !

Au cours de votre ministère, avez-vous accompagné des jeunes à discerner une vocation religieuse ou sacerdotale ?

Père Guy Gilbert : Ça m’est arrivé plusieurs fois d’accompagner des jeunes diacres qui ne voulaient plus continuer vers le sacerdoce ; ils s’occupaient de SDF. Ils voulaient tout arrêter. En faisant des stages avec moi, ils sont devenus spécialistes des plus pauvres et ont continué leur formation pour devenir prêtres.

Face à la crise des vocations, si vous aviez une suggestion à transmettre, quelle serait-elle ?

Guy Gilbert lors de la première messe commune des nouveaux prêtres à ND des victoires
À chaque rencontre avec des prêtres je dis : « On n’a pas la même gueule mais c’est la même Église. »

Père Guy Gilbert : Je constate que les prêtres des villes évangélisent le “macadam” et vont de paroisse en paroisse, tombant sur des paroissiens âgés et c’est assez démoralisant. Le Saint Esprit doit être sélectif car il n’y a plus de prêtres issus du monde ouvrier ou paysan ! Ce sont des jeunes qui ont des formations intellectuelles avancées et sont issus d’un milieu privilégié…. L’Église de France s’est enfermée dans le monde
des riches au fur et à mesure des siècles et c’est dramatique pour l’immensité des prêtres qui sont dans les campagnes !
J’ai aimé que le pape François propose que des hommes mariés soient prêtres et que des femmes soient diacres ; mais ça n’est pas passé au Vatican ! Qu’on ait le choix entre le mariage et le célibat qui est une merveille ! C’est difficile mais ce ne doit pas être imposé. À cinquante ans, il y a des tas d’hommes qui pourraient devenir prêtres et des femmes qui pourraient baptiser, marier et prêcher. Nous avons le monopole de l’Évangile et les femmes n’ont rien alors qu’elles sont super douées….

Ici, comment éduque-t-on les jeunes à se reconstruire ou à se construire ?

Père Guy Gilbert : Avec la zoothérapie ! J’ai lancé ça il y a 47 ans : il y avait un cochon, une vache, une chèvre… Maintenant il y a 20 espèces et 120 animaux. L’animal ne ment pas, il ne triche pas et rend ce qu’on lui a donné. Lorsque les jeunes arrivent, ils ont peur du regard de l’adulte mais pas de celui du lama ! Ils sont plus violents et plus démoralisés qu’avant, mais ils aiment les bêtes. Quand ils reviennent des années après, ils foncent vers les animaux… La première chose ici, c’est les règles : quand on arrive, on se couche à 21h30, on se lève à 8h et à 8h30 on est devant la porte de la ferme sinon on est sanctionné. Et ça marche avec ces gamins qui n’ont jamais eu de cadre, bien souvent sans père, au milieu de divorces…

Guy Gibert Dans sa Jeep avec les jeunes, les éducateurs et les animaux
Guy Gibert dans sa Jeep avec les jeunes, les éducateurs et les animaux

Comment parlez-vous d’amitié et de fraternité avec des jeunes de plus en plus violents ?

Père Guy Gilbert : On la vit tous les jours, je ne fais jamais de discours ! Ils savent que je suis là et ils viennent me parler souvent. L’équipe d’éducateurs est solide, aimante et disponible et ne se laisse pas faire, ce sont tous des grands professionnels.

Un jeune m’a dit : que tu sois curé je m’en fous, mais il y a une chose que j’ai compris : je n’ai été aimé par personne, je ne m’aimais pas avant ; je sais que tu m’aimes pour moi, je m’aime maintenant et j’aime les autres et je suis heureux pour ça !

Comment s’articulent vos journées ici, loin de Paris que vous avez quittée depuis la pandémie ?

Père Guy Gilbert : J’ai fait les trajets pendant quarante ans entre Paris et ici ; on m’a donné ce chalet, mais je ne voulais rien ! Depuis le Covid je vis ici : je dis la messe à 18h, je me couche à 2h du matin et lorsque je me réveille à 10h, je vois les jeunes, je marche tous les jours. J’ai eu un AVC il y a dix ans mais je n’ai pas eu de séquelles. Je réponds aussi à toutes les personnes qui m’écrivent et j’offre tout ça au Seigneur le soir
en lui disant : « Occupe-toi de ceux qui m’ont appelé et que je n’ai pas pu aider. »

Parlez-nous de votre transmission ; comment envisagez-vous la suite de Faucon et de l’Association ?

Père Guy Gilbert : Je souhaite qu’il y ait un prêtre qui me succède à la tête de l’association pour la fête des motards, la fête du 15 août à la Palud… Il y en a un que j’ai identifié. Ici j’ai fait 160 baptêmes, des mariages… À Paris, il y a les anciens ; ce sont des ex-prisonniers qui viennent au local où un éducateur est présent tous les quinze jours. Ce que je voudrais c’est pouvoir accueillir les filles dans un lieu distinct de Faucon ; c’est un
projet qui me hante depuis toujours. Autre projet, le suivi des anciens : lorsqu’ils partent, ils veulent garder un lien et il faudrait trouver un moyen de continuer à savoir où ils sont. C’est moi qui assure ça pour les réconforter, mais il faudrait un responsable pour écouter les « je suis seul », « je n’ai pas un sou » ; « je suis en taule » … que j’entends tous les jours, à Paris.

Que voulez-vous qu’on retienne de ces années au service des plus marginaux ?

Père Guy Gilbert : Le Seigneur m’a donné un cœur d’amour, mais pour tout l’amour qu’il demande, il m’a fait un cœur trop petit ! Cinquante six ans de sacerdoce au milieu des non chrétiens m’amènent à dire : « Vivre de telle façon qu’à ma seule façon de vivre on pense que c’est impossible que Dieu n’existe pas ! »
Dans ce monde troublé on ne pense qu’aux biens matériels, on est de plus en plus indifférent à l’autre, alors qu’on a besoin d’une grande espérance journalière. Tout le monde peut aimer, du plus petit au vieillard qui s’éteint. Si nous aimons avec le cœur de Dieu, nous sommes invincibles !

Interview réalisée par Sophie Mattei pour le magazine Vocations N°214

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